IGP pour l’absinthe de Pontarlier

Publié le par Marie-Claude DELAHAYE

Après 16 ans de procédure, la Commission européenne a officiellement délivré lundi 19 août le label Indication Géographique Protégée pour l’absinthe de Pontarlier. François Guy dont l’arrière grand-père Armand avait installé la distillerie en 1890 est à l’origine de cette demande, déposant depuis 2003 dossiers et cahier des charges auprès de la Commission de Bruxelles.

Pontarlier voit ainsi reconnu un produit spécifique à la région puisque c’est là, qu’en 1805, Henri-Louis Pernod installa la première distillerie d’absinthe, suivie par plus d’une vingtaine d’autres au cours du XIXe siècle, début XXe.

François Guy, heureux de l'obtention de l'IGP. Ph. L'Est Républicain du Haut-Doubs.

François Guy, heureux de l'obtention de l'IGP. Ph. L'Est Républicain du Haut-Doubs.

L’indication géographique fait l’objet d’un cahier des charges strict. Il définit l’absinthe « comme un spiritueux limpide de couleur jaune pâle tirant sur le vert, dont le degré d’alcool lors de la mise en bouteille est supérieur ou égal à 45 % ».

La culture et le séchage de la grande absinthe, les opérations de macération des plantes, de distillation du macérat, d’élaboration de la boisson spiritueuse ainsi que son conditionnement doivent être réalisées dans une zone géographique ne dépassant pas les 35 km. Elle englobe les communes suivantes du département du Doubs: Arçon, Bannans, Bonnevaux, Boujailles, Bouverans, Bulle, Chaffois, Chapelle d’Huin, La Cluse-et-Mijoux, Courvières, Dommartin, Dompierre-les-Tilleuls, Doubs, Frasne, Granges-Narboz, Houtaud, Pontarlier, La Rivière-Drugeon, Sainte-Colombe, Vuillecin.

La culture des plantes doit se faire sans engrais ni désherbant. Le séchage doit être réalisé naturellement sans soufflerie, ni ventilation mécanique. Les plantes ne doivent pas être exposées au rayonnement solaire.

François Guy et sa première récolte de Grande absinthe en 2001. Ph. Delahaye.

François Guy et sa première récolte de Grande absinthe en 2001. Ph. Delahaye.

Séchage des plantes dans le grenier chez Guy. Ph. Delahaye.

Séchage des plantes dans le grenier chez Guy. Ph. Delahaye.

Les plantes utilisées doivent obligatoirement être la grande absinthe (Artemisia absinthium) et l’anis vert (Pimpinella anisum) en grains.

La mélisse (Melissa officinalis), le fenouil commun (Foeniculum vulgare) et la menthe (Mentha spp) sont autorisés dans la limite maximale totale de 5 kilogrammes par hectolitre d’alcool pur de macérat.

D’autres plantes aromatiques sont autorisées dans la limite maximale totale de 1 kilogramme par hectolitre d’alcool pur de macérat.

L’infusion de coloration comprend obligatoirement la petite absinthe (Artemisia pontica) et l’hysope (Hyssopus officinalis).

La badiane (ou anis étoilé) est formellement interdite.

La distillation qui fait disparaître l’amertume de l’absinthe est obligatoire. Elle doit se faire dans des alambics en cuivre.

Les alambics de la distillerie Guy. Ph. Delahaye.

Les alambics de la distillerie Guy. Ph. Delahaye.

Dominique Rousselet devant ses alambics. Distillerie Les Fils d'Émile Pernot à la Cluse et Mijoux à la sortie de Pontarlier. Ph. Delahaye.

Dominique Rousselet devant ses alambics. Distillerie Les Fils d'Émile Pernot à la Cluse et Mijoux à la sortie de Pontarlier. Ph. Delahaye.

Chose étonnante, le produit peut être sucré. C'est une éventualité mais dans ce cas, l’étiquette doit porter la mention « Prêt à l’emploi ». Initialement, l’absinthe n’a jamais été sucrée dans la bouteille. Si aujourd’hui elle l’était, que deviendrait l’élégant rituel qui fait tout le charme de l’absinthe ?

Affichette pour l'absinthe Guy. Fontaine gravée au nom de la marque. Ph. Delahaye.

Affichette pour l'absinthe Guy. Fontaine gravée au nom de la marque. Ph. Delahaye.

Autre point important : La thuyone. Cette molécule constitutive à 50% de l’huile essentielle de la plante, doit avoir une valeur minimale de 20 mg/l pour répondre aux caractéristiques du produit et une valeur maximale de 35mg/kg compte tenu de la réglementation communautaire. Toutes ces normes sont en fait celles de l’Absinthe Guy.


Qu'en est-il des autres distillateurs ?

La distillerie Les Fils d’Émile Pernot située à La Cluse et Mijoux à la sortie de Pontarlier et faisant partie de l’aire géographique, n’entre pas dans ces normes. Avec une thuyone à 20 mg/litre minimum, l'absinthe ne peut être exportée qu’en Europe. Pour l’exportation aux USA, Canada et Japon, elle doit être en dessous de 10 mg/l. Ce qui est le cas pour l'entreprise Les Fils d’Émile Pernot qui exporte dans ces pays 40% de sa production.

Une question se pose alors :

« Les indications géographiques protégées interdisent toute utilisation commerciale directe ou indirecte par des produits non couverts par l’enregistrement, dans la mesure où ces produits sont comparables à la boisson spiritueuse enregistrée sous cette indication géographique ou dans la mesure où cette utilisation exploite la réputation de l’indication géographique enregistrée ».

Dans ce cas, le mot Pontarlier sera t-il toujours autorisé sur les bouteilles d’absinthe fabriquée dans la région mais n’ayant pas 20 mg/l de thuyone donc ne correspondant pas au cahier des charges ? Sera-t-il également interdit dans la publicité, écrite ou numérique ou même dans l’évocation de la réputation ?

C'est ce que vivent actuellement les distillateurs du Val-de-Travers qui refusent tout cahier des charges pour garder leurs façons de faire traditionnelles propre à chacun et qui ne pourront inscrire Val-de-Travers sur leurs étiquettes.

Ces absinthes dont le taux de thuyone n'entre pas dans les normes du cahier des charges pourront-elles se prévaloir de l'appellation Absinthe Pontarlier ?
Ces absinthes dont le taux de thuyone n'entre pas dans les normes du cahier des charges pourront-elles se prévaloir de l'appellation Absinthe Pontarlier ?

Ces absinthes dont le taux de thuyone n'entre pas dans les normes du cahier des charges pourront-elles se prévaloir de l'appellation Absinthe Pontarlier ?

Au-delà des discussions qui risquent de découler de cette IGP, elle a le grand mérite de sauver définitivement l'emploi du mot Absinthe que les suisses voulaient par un temps monopoliser.

L’absinthe devient ainsi la 239e boisson spiritueuse à profiter d’une indication géographique en Europe. Forte concurrence !

 

 

 

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